Récit d’une photo #01

J’ai rencontré dans la Presse des personnes formidables dont Sylvie Bouvier qui avait un carnet d’adresse à faire pâlir la débutante iconographe que j’étais.

En décembre 2017, après le décès de Johnny Halliday, elle publie ce récit de 1987 d’une commande photo pour le journal Libération.

« Johnny a accordé une interview à Libé, je suis au Service Photo et je tente le coup pour obtenir un RDV photo. Pour casser l’exclusivité du photographe Tony Franck, je sais que je dois proposer « du lourd ». Allons y … Je demande à Helmut Newton, qui, Ô miracle dit oui, et l’attaché de Presse de Johnny aussi, tout va bien.

Finalement Newton annulera 8 jours avant le RDV sous prétexte que Johnny n’a plus les cheveux blancs qu’il avait pour un rôle dans un film de science fiction… OUPS…

Avec l’esprit de contre emploi cher à l’esprit Libé, je propose le RDV à Jean Loup Sieff, à condition qu’il accepte de sortir de son studio. Sieff dit banco, tout va bien à nouveau.

Le jour du RDV, à Bercy pendant une répétition, moi aussi je sors de mon bureau, pas envie de rater ça …

Johnny nous reçoit dans sa loge, et c’est vrai, le bleu glacier de ses yeux ça vous flingue … Johnny est fatigué mais très gentil et prévient, il ne posera pas, mais dit à Jean Loup Sieff qu’il peut faire ce qu’il veut.

On retourne dans la salle de Bercy, vide, silencieuse, dans le noir. Les zicos s’échauffent, Johnny finit par arriver d’un pas lassé, gitane aux lèvres. Jean Loup Sieff se glisse et se fait tout petit, accroupi sur la scène, il n’y a presque pas de lumière, m…

Moi aussi je me fait toute petite, je me suis assise au premier rang, un peu sur le côté … Je suis seule spectatrice, le coeur battant comme une gamine.

Tiens ? J’entend une voix qui vient de la régie son, plus haut, p… c’est Michel Berger ! Johnny écrase la gitane, et chante enfin… « Ma gueule »…

Sa voix, une onde de choc chaude, stupéfiante , bien plus immense que tout ce que j’avais pu imaginer, et ça vient tout seul, je pleure.

Sieff s’est glissé au sol, sur le dos, au pied du micro, et il a fait cette photo, ce beau portrait de vieux loup.

Quand on ressort du parking, il fait jour, des dizaines de fans sont là et fouillent notre voiture du regard au cas où …

En traversant Paris, Sieff et moi on se tait, longtemps, on savoure, encore abasourdis…  »

© Sylvie Bouvier (texte)

© Jean Loup Sieff (photo)